Des émotions à l’expérience client

L’expérience client est à l’honneur en ce moment : pas une conférence, un article, un salon qui ne fasse référence à ce nouveau buzzword. Aujourd’hui, tout est expérience client : un service innovant, un lieu connecté, une relation client exceptionnelle, une solution CRM… Avec tout ça on en oublierait presque la dimension profondément humaine de l’expérience à l’origine de notre connaissance du monde car faire l’expérience de quelque chose c’est la vivre. Pour vous aider à y voir plus clair, voici un extrait de mon dernier livre « Marketing sensoriel : une approche globale pour les produits et les services » qui nous rappelle le lien entre les émotions et l’expérience vécue. Bonne lecture !

À l’origine de la réflexion sur le lien entre l’expérience vécue et les émotions, on trouve les travaux issus de la psychologie environnementale. Le modèle des affects de Russell (1974) identifie deux « émotions », le plaisir (pleasure) et la stimulation (arousal) comme principaux médiateurs entre l’environnement et les comportements d’approche ou d’évitement. Suivant que l’environnement est plus ou moins plaisant et/ou stimulant, on va vouloir rester physiquement dans l’environnement de service ou le quitter, l’explorer ou se replier sur soi et limiter les contacts, communiquer avec les autres ou ignorer les tentatives de communication, rechercher ou éviter la performance et la satisfaction issue de l’accomplissement de tâches.

Le plaisir est la première réponse recherchée dans un environnement de service – le lieu de l’expérience – : ce dernier doit avant tout être attirant – vs répulsif – sous peine de faire fuir les clients. La stimulation vient en second : dans les environnements stimulants, on trouve beaucoup d’informations sensorielles et cognitives, de la complexité, du mouvement, des changements fréquents, des surprises… À l’inverse, un milieu peu stimulant présente les caractéristiques opposées : calme, lumières douces, ambiance apaisante… À partir de ces deux concepts de base (plaisir/stimulation), un environnement peut être perçu comme passionnant, excitant, agréable, relaxant, endormant, ennuyeux, déplaisant, stressant… et générer diverses réponses d’ordre émotionnel comme l’intérêt, la joie, l’euphorie, l’émerveillement, l’enchantement, la volupté, la surprise, l’anticipation, la sérénité, ou au contraire la douleur, l’ennui, la tristesse, la colère… Le temps passé et les sommes dépensées par le consommateur dans de tels environnements sont fonction du niveau de plaisir ressenti et de l’état émotionnel. Ainsi, et à condition qu’il soit d’abord agréable, un environnement stimulant est perçu positivement, sauf si le niveau de stimulation le rend désagréable. Bien sûr, cela dépend de la personne, de ses expériences passées, de son seuil d’activation… L’enseigne Abercrombie & Fitch est appréciée pour son atmosphère hyperstimulante saturée en musique, parfums, images… mais peut aussi engendrer des attitudes de rejet, de repli sur soi pour ces mêmes raisons.

Selon le modèle de « Serviscape » de Bitner, les clients et le personnel engagent divers types de réactions en réponse à l’environnement : des réactions émotionnelles mais également des réponses liées aux connaissances préalables des consommateurs (croyances, catégorisations, significations symboliques) et plus largement des réponses de jugement global telles que le confort, la sécurité, la confiance… L’ensemble de ces réponses, associées aux interactions sociales, contribuent alors à la modulation des comportements selon deux tendances que Bitner oppose : le comportement d’approche (attractif) et celui d’évitement (répulsif).

Ces états intérieurs varient selon la personnalité de l’individu, son expérience passée, le moment ou le but de l’achat et le niveau d’attente. Ainsi, dans une situation de foule, une même personne aura un comportement différent selon qu’elle est fatiguée ou détendue, sensible au temps ou indifférente. Elle sera aussi influencée par l’ensemble des éléments qui composent les dimensions de l’environnement de service comme les éléments extérieurs, intérieurs, l’aménagement, la décoration intérieure et la dimension humaine. Et bien sûr, le produit au coeur de l’expérience est lui aussi vecteur de sensations et d’émotions.

D’une manière générale, le plaisir est souvent associé à la sensation de contrôle personnel et de confort, notion difficile à appréhender, qui s’exprime le plus souvent par le fait « qu’on est bien » sans savoir pourquoi précisément. L’inconfort, quant à lui, est plus précis : on sait que l’on est mal assis ou que l’on a trop chaud. Cette impression issue d’une réponse physiologique de l’organisme dans des contextes de foule, de chaleur excessive, d’obscurité, de bruit intense, en perturbant les capacités cognitives à évaluer la situation et à faire des choix éclairés peut modifier le comportement jusqu’à provoquer le rejet et la fuite : les périodes de grands départs dans les gares et les aéroports génèrent souvent ce genre de stress. L’amélioration du confort va donc passer par la possibilité que l’on donne au client d’agir sur les variables de son inconfort. Cette sensation peut être modulée en agissant sur la signalétique visuelle et sonore, la ventilation, la lumière, la qualité des sièges ou l’espace adéquat. On sait, par exemple, que le fait d’être confortablement assis influence le temps passé dans un lieu, que la sensation de chaleur excessive génère de l’irritabilité, de la lassitude et une baisse de vigilance et qu’elle altère la qualité de la relation entre personnes qui ne se connaissent pas, et que des réponses physiologiques négatives affectent l’image et les croyances que l’on peut avoir sur un lieu et les gens qui y travaillent. Le confort est un attribut de la première classe dans les avions et dans les trains : l’inclinaison des fauteuils, l’intensité de la lumière et de l’aération sont modulables et peuvent être gérés individuellement. L’inconfort sonore, quant à lui, est d’autant plus important qu’il s’accompagne souvent de modifications inconscientes du comportement : un lieu mal conçu incitera l’ensemble des personnes présentes à parler plus fort, créant ainsi un volume sonore encore plus dérangeant. Ainsi, une démarche opérationnelle de renforcement de la dimension de plaisir d’une expérience client consiste à identifier les sources d’insatisfaction, par exemple en utilisant une grille d’évaluation pour les supprimer, puis, par contraste, pour proposer des alternatives qui, potentiellement, seront sources de satisfaction et de plaisir.Une autre démarche s’appuie sur le renforcement de la stimulation, de l’éveil, par l’intégration d’éléments dynamiques dans l’expérience client.

Alors que le niveau de stimulation dépend de la quantité d’informations à laquelle est soumis un individu, en introduisant beaucoup d’informations, des changements, des surprises, du mouvement… on contribuera à augmenter la complexité d’un environnement et à élever le niveau de plaisir. Si notre perception de la plupart des services que nous consommons quotidiennement (prendre le bus, aller à la banque…) résulte de processus cognitifs simples, une façon de renforcer la sensation de plaisir associé sera d’introduire des éléments surprenants dans le décor : les rames iDTGV Zap, les zones de jeux chez McDonald’s, l’espace customisation chez Desigual… Ces connaissances sont issues des travaux portant sur le design et l’ergonomie des lieux de travail et permettent de mieux comprendre les liens entre l’environnement, les réponses physiologiques des individus et leur capacité à mener à bien une tâche ou opérer une fonction. Transposées aux environnements de service par Bitner, elles présentent un grand intérêt dans le sens où elles prennent en compte à la fois les réactions du personnel mais aussi celles des clients qui cohabitent et interagissent dans le même endroit : ce point est vital pour les designers qui doivent réaliser que les employés passent plus de temps sur le lieu de l’interaction que leurs clients. Pour Bitner, « la scène de service (Serviscape) joue un rôle important dans de nombreuses organisations de services (hôtels, restaurants, etc.) dans la mesure où elle offre une première impression, avant que les clients aient l’occasion d’interagir avec les employés. Elle est un élément important qui va guider les attitudes, les croyances et les attentes du client. En interagissant de manière continue avec le lieu, l’expérience qu’ils vivent est plus intense que leur relation avec les employés. Partant de là, il faut examiner les réactions cognitives et émotionnelles du consommateur de manière très méticuleuse. »

Avant de créer un environnement de service, il est important de se poser la question de savoir quel type de réponse émotionnelle est attendu de la part des clients et du personnel, pour interagir confortablement dans le cas d’un club de sport, par exemple, pour opérer de manière autonome dans le cas d’un espace en libre service ou pour s’orienter facilement dans le cas d’un parking.

Quelle que soit la famille d’émotions que l’on souhaite susciter, plaisir ou stimulation, celle-ci doit faire l’objet d’une décision stratégique actée dans la plate-forme de l’expérience. Elle doit également être en affinité avec les valeurs de la marque et les dimensions de service et s’incarner dans des preuves tangibles.

Certes, je ne parle là que des environnements physiques, les environnements virtuels ont des spécificités qui les rendent inaccessibles à certains sens. Mais j’y réfléchis et je promets un prochain billet consacré au design émotionnel.

A bientôt,

Laurence

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4 commentaire “Des émotions à l’expérience client”

  1. Vaste sujet et excellent article, qui pose en filigrane la question de l’après. Après avoir designé un lieu et un service avec de subtiles intentions, comment s’assurer que le consommateur réagit comme on l’a imaginé ? Vous dites que chacun réagira selon son vécu. Vous citez Bitner : « il faut examiner les réactions cognitives et émotionnelles du consommateur de manière très méticuleuse. » Comment ?

    1. J’apprécie d’autant plus votre commentaire qu’il vient de vous : je suis honorée ! Pour répondre à votre question, l’intégration de la dimension émotionnelle intervient au moment de la conception du service et de son environnement physique et digital. En abordant le problème sous l’angle des usages, on peut designer un environnement et l’ensemble des interactions qui s’y déroulent en même temps. Ce sont les phases d’expérimentation -prototypage- qui permettent de concevoir dans le détail les éléments qui composeront la future expérience, qu’ils soient de nature comportementale, cognitive, sensorielle, sociale ou servicielle. Cette phase de prototypage passe par la réalisation de maquettes à Echelle 1 à l’intérieur desquelles les clients et les différentes parties prenantes sont invités à co créer cette expérience à venir. Comme au théatre, on va jouer la pièce sur scène et dans les coulisses jusqu’à ce que l’on obtienne le résultat attendu auprès du public : la surprise, l’enchantement, le plaisir …. Et ensuite on passera au déploiement dans toutes les unités du réseau, qu’il s’agisse de magasins, d’agences bancaires, ou autres. Laurence

  2. Très bon billet qui rappelle que les évolutions et changements que connait aujourd’hui le point de vente doivent prendre en compte les émotions des consommateurs s’ils souhaitent réellement enrichir l’expérience client.

    Claude Nahon

    1. Merci Claude, comme vous je suis convaincue de l’importance des sens -the fastest tracks to emotions- pour livrer des expériences vraiment mémorables. Nous avons un devoir d’évangélisation. A bientôt. Laurence

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