Ré enchanter l’expérience touristique
Aujourd’hui, pour satisfaire nos besoins de touristes exigeants et pressés, il existe une multitude de services toujours plus diversifiés et complexes : des virements entre pays que l’on peut effectuer sur internet jusqu’au check-in de son vol depuis son mobile en passant par les offres d’intermodalité proposées par les villes, nos voyages sont jalonnés de services destines à nous simplifier la vie. Sans parler des expériences en elles-mêmes, celles que vivons à l’occasion d’une nuit dans un hôtel, d’un spectacle ou de la visite d’un musée : sensées enchanter notre séjour, nous les jugeons parfois peu satisfaisantes et sources d’agacements allant jusqu’à ternir des vacances préparées avec soin et rêvées de longue date.
Mais qu’ils soient ordinaires ou attachés à une situation particulière comme un voyage ou un séjour, c’est le fait qu’ils soient vécus par des individus qui rassemblent services et expériences : la dimension perceptuelle, celle qui est source d’émotions est centrale pour intégrer l’importance des enjeux autour de leur prise en compte. Or une expérience est trop souvent envisagée du point de vue de la qualité et de la productivité : respect des horaires, conformité à un cahier des charges, à une charte d’engagements… cela est encore plus vrai dans le secteur du tourisme où de toutes les dimensions – sociales, techniques, fonctionnelles… en un mot rationnelles – attachées à l’expérience, c’est la dimension émotionnelle qui est la plus source de satisfaction. Ignorer cela c’est méconnaitre la capacite du tourisme à réenchanter nos vies et risquer de passer à coté d’un potentiel énorme.
L’ensemble des interactions physiques et sociales que nous vivons et des détails que nous perçevons – quelle que soit leur importance – va plus ou moins influencer notre jugement avant, pendant et parfois longtemps après que nous ayons vécu l’expérience : c’est la raison pour laquelle celle-ci doit être conçue des le départ comme un continuum, un processus dynamique et fluide dont l’objectif final est d’atteindre voire de dépasser nos attentes fonctionnelles et émotionnelles.
La destination touristique, une expérience à part
La destination touristique a ceci de différents des autres services qu’elle est constituée d’éléments disparates – transports, hôtels, restaurants, lieux de visites… – qui n’ont de cohérence entre eux qu’aux yeux de celui qui la consomme : le touriste. Alors que chacun des acteurs se concentre sur la qualité de sa prestation, ce dernier envisage ses vacances comme un tout et évalue l’ensemble. Qu’un élément de la chaine de service ne soit pas à la hauteur des attentes et c’est l’expérience dans son entier qui en souffre. D’ou la nécessité de livrer un niveau de qualité identique sur chacun des points de contact pour faire de la destination une expérience satisfaisante et pourquoi pas, source d’enchantement. Dans cette optique, on commence par corriger les points de souffrance puis on enrichit les points positifs pour les rendre excellents. On peut même imaginer créer des points de contact additionnels pour rendre la destination touristique memorable : cela n’est évidemment possible qu’avec la coopération de l’ensemble des parties prenantes.
Le design de services pour faciliter la coopération et concevoir des expériences mémorables
Imaginons –sans trop d’efforts- un touriste qui débarque à l’aéroport de Roissy CDG et subit toute une série de ruptures de service jusqu’à son arrivée à l’hôtel : simplement parce qu’il a affaire à des prestataires différents sur son parcours – ADP quand il atterrit, la SNCF quand il prend le RER, puis la RATP, il va rencontrer sur son trajet une série de désagréments – informations non concordantes et inaccessibles dans sa langue, tarifications incompréhensibles, bornes dysfonctionnelles et personnel indisponible – qui vont l’affecter et ternir son expérience d’arrivée dans notre beau pays.
Autre exemple, vécu celui-la, d’une ville touristique de premier plan dont la ligne de tramway s’arrête à 500 mètres de l’aéroport, obligeant les voyageurs à porter leurs valises sur un parcours ni aménagé ni balisé. Il est évident qu’il y a derrière cette situation consternante des enjeux politiques locaux mais l’effet sur le touriste qui vient pour la première fois est dévastateur.
Le design de services est cette nouvelle approche qui permet à partir de l’identification de points de contacts critiques au manquants – au niveau des acteurs ou de la destination – d’améliorer et de réenchanter l’expérience vécue par le touriste .
En voici la définition par Continuum, Agence Conseil en Design et Innovation : « Le design de service consiste à développer des environnements, des outils et des process qui aident les collaborateurs à livrer un service supérieur spécifique à la marque. »
En plaçant l’individu et les différentes parties prenantes de la délivrance du service au cœur de la démarche de conception ou d’amélioration, le design de services facilite la coopération et encourage la co création : cette approche est de plus en plus stratégique pour des secteurs comme le retail, l’hospitalité, les transports, la banque… Pour un projet touristique conduit en mode design, l’objectif est la construction de relations durables entre les parties prenantes au coeur de la livraison du service, et les clients/touristes ainsi qu’entre elles. Plus les acteurs du futur service/expérience sont impliqués dans la conception, plus leur niveau d’engagement exprimé en termes de fidélité pour les futurs clients et de mobilisation pour les collaborateurs sera important. Dans le cas du tourisme où du personnel en contact est concerné, ce principe est primordial pour favoriser l’intimité client, sécuriser les étapes ultérieures de déploiement et pérenniser les processus engagés.
Avant de parler des principes et des outils, le design de services est avant tout un processus collaboratif d’étude, de conception et de mise en œuvre d’interactions entre l’organisation et ses clients qui se répètent dans le temps et sur un certain nombre de points de contact. Il consiste à définir quand, où et de quelle manière l’organisation peut créer plus de valeur pour ses clients et pour elle même. Le design de services est une démarche holistique qui comprend l’analyse de la demande, de la concurrence et la stratégie de marque et apporte une dimension transversale là ou les différents départements de l’organisation conçoivent souvent de manière isolée les différents moments de services vécus par le client (expérience cross canal de vente en magasin, de vente en ligne, d’après-vente…). Il intègre la future offre dans un écosystème constitué par le service en lui-même – son « look and feel » -, les processus front et back office et les gens qui le délivrent. Cette dimension holistique est fondamentale pour ne pas recréer les silos qui existent déjà dans l’organisation .
De plus, les compétences du design en terme de scénarisation, prototypage et conceptualisation permettent de créer entre les différents acteurs de la conception du service un langage commun source d’empathie et de contribuer au développement d’expériences qui adressent ses besoins conscients et inconscients, exprimés ou non.
Les études constituent le principal domaine où le marketing et ses pratiques sont remises en cause par le design de services : en plaçant l’usage au centre de la démarche, il valorise l’observation au détriment du déclaratif et oppose le qualitatif au quantitatif. Que ce soit pour comprendre, analyser, tester, mesurer, le recueil d’informations s’appuie le plus souvent sur l’observation des consommateurs en situation d’usage. Le déclaratif ne vient en appui que pour illustrer des photos ou des vidéos.
Les principes de base du design de services
Les outils du design de services ont ceci d’intéressant qu’ils sont très différents des outils marketing/études classiques car ils s’intéressent davantage aux processus qui aboutissent aux choix, à l’environnement, aux évènements et aux activités qui en font partie, en un mot : à l’expérience de service dans ce qu’elle a de holistique et de complexe.
Mettre l’individu au cœur de la démarche de création de l’expérience nécessite une compréhension réelle de celui ci, compréhension qui va au delà des statistiques et de l’analyse empirique de ses besoins. Dans l’approche marketing classique, attentes client et performances du service sont limitées à leur dimension fonctionnelle – durée moyenne de séjour, sommes dépensées, présence d’enfants, de seniors… alors que la satisfaction, la vraie, celle qui fidélise et génère du bouche à oreille positif prend naissance dans les dimensions expérientielles du service : comment le service et son environnement agissent sur le ressenti du consommateur, comment il va l’aider à profiter davantage de son séjour, comment il va l’accompagner efficacement pour la suite des étapes…
Pour développer une connaissance approfondie et authentique du consommateur, il est indispensable de se mettre dans ses chaussures et de placer l’expérience individuelle dans un contexte plus large, celui du lieu d’achat ou de consommation, de la situation, du personnel en contact, grâce à quoi il devient possible de visualiser l’expérience client dans ce qu’elle a de personnel et de holistique.
Le design de services s’attache ensuite à concevoir des expériences et des environnements sur la base d’un examen holistique de l’expérience des utilisateurs représenté grâce à une cartographie détaillée de l’écosystème et des parcours client, il est guidé par la prise en compte de « moments » de l’engagement entre les personnes et les marques et des souvenirs que ces moments génèrent.
Essentiel pour aller plus loin que la connaissance, le design de service repose sur 5 principes :
1 – Le client utilisateur est au cœur de la démarche : le but premier assigné à une expérience est d’enchanter le client pour le fidéliser et favoriser le bouche à oreille positif, ce qui n’est pas possible sans un minimum d’implication de sa part. Bien que les outils d’écoute et d’analyse de la voix du client – en provenance principalement des réseaux sociaux – soient très performants et ouvrent l’accès à une quantité impressionnante d’informations, ils ne permettent pas une compréhension approfondie du client et de ses motivations. En plaçant le consommateur au cœur du processus, le design de services permet de recueillir des insights authentiques et sensibles : il cherche à se mettre à la place du client et à comprendre son état d’esprit et son expérience de service individuelle, dans son contexte à lui, plus général et personnel. Il en résulte plus de proximité dans l’offre et la capacité de parler la même langue : la sienne.
2 – Le consommateur est co-créateur de sa propre expérience : la fourniture d’un service est un processus non linéaire, bien plus complexe que la vente d’un produit car elle implique de nombreux contributeurs comme les collaborateurs front line et back office (avec ou sans contact clients) mais aussi les managers, les interfaces non humaines – bornes, distributeurs, sites internet – l’environnement de service ainsi que les clients eux-mêmes. Il en résulte une grande diversité de segments de clients concernés et de besoins et d’attentes à considérer. En impliquant les différents acteurs/ contributeurs dans le design de l’expérience, il devient possible de générer des idées d’amélioration ou de nouveaux services à l’intérieur de groupes hétérogènes d’individus. L’utilisation d’outils et de méthodes spécifiques au design de service aboutit à une meilleure compréhension des points de vue pour la création du concept, le développement, le prototypage et les différents tests. En devenant co créateur de sa propre expérience, le client est plus impliqué et plus susceptible d’être promoteur et fidèle sur le long terme.
3 – Une expérience est un processus séquentiel : si on compare une expérience touristique à une pièce de théâtre, on obtient une série de séquences qui se déroulent dans le temps. Dans une expérience on distingue 3 séquences distinctes :
– l’anticipation qui consiste à rechercher, planifier, rêver éveillé, budgéter ou fantasmer l’expérience et qui correspond à la phase de recueil d’information du parcours client,
– l’expérience proprement dite qui inclut la rencontre avec le service et son environnement, les sensations, les émotions et la satisfaction ou l’insatisfaction, et qui correspond à la phase d’achat et de consommation du parcours client,
– le souvenir qui s’appuie sur la mémoire de l’expérience mais aussi sur le partage de récits avec sa communauté et peut donner lieu à une véritable reconstruction de l’expérience vécue, et qui correspond à la phase post expérience du parcours client.
Si le rythme est trop lent, la pièce parait longue et le spectateur s’ennuie ; s’il est trop rapide, il peut ressentir du stress ou de la frustration. De la même manière que la pièce est découpée en actes, l’expérience client est découpée en points de contacts et en interactions dont la durée est cruciale pour la satisfaction finale. Les interactions aux points de contact peuvent être objectives –client/personnel, client/machine – ou subjectives – client/environnement de service – et engendrer des émotions positives ou négatives. En prenant en compte les émotions dans le parcours client on peut organiser les moments de l’expérience de manière à assurer une progression croissante de l’humeur – anticipation, plaisir, surprise, sérénité, confiance… – et raconter une histoire en lien avec l’expérience.
4 – Une expérience est matérialisable : le but d’une expérience est de créer des souvenirs intangibles mais aussi tangibles. Pour la rendre réelle et la prolonger au-delà de la phase de consommation, on va créer des preuves ou des artefacts destinés a créer des associations émotionnelles et à activer le souvenir de moments de service positifs. Les chocolats sur le lit dans une chambre d’hôtel sont la preuve que le ménage a été fait, au spectacle ou au concert, le programme est un souvenir que l’on gardera.
5 – Une expérience est holistique : bien que les expériences soient intangibles, elles se déroulent dans un environnement de service qui lui, a la particularité d’être tangible. C’est la manifestation physique des expériences – environnement de service, souvenirs, artefacts – qui est perçue consciemment ou non par les sens du consommateur. Pour créer une expérience qui soit la plus holistique possible, on va se concentrer sur l’environnement de service et son impact sur le consommateur à chaque point de contact et pour toutes les séquences possibles – avec contact téléphonique ou visite sur le site internet avant la venue sur le site, avec ou sans consommation du service, avec réclamation post achat… – : tous les signaux matérialisant l’expérience qu’ils soient perçus consciemment ou non doivent former un ensemble fluide et homogène La qualité de la relation client et l’ensemble de ses dimensions – fiabilité, clarté, convivialité – est également incluse dans ce cadre. La cartographie de l’expérience – représentation visuelle des parcours client-doit aussi permettre de visualiser les humeurs et les émotions à chaque point de contact.
Alors que le marketing traditionnel envisage le développement de nouveaux services comme des réponses à des problématiques, le design de service, grâce à son fonctionnement itératif et à la vision très large qu’il a du consommateur et de son contexte, s’autorise à tout explorer en restant ouvert à la surprise et à la création d’expérience au hasard des détours personnels.
Une application du design de service : l’expérience des voyageurs de Virgin Atlantic au terminal 3 d’Heathrow
En 2008, le flagship de Virgin Atlantic Airways a été intégralement conçu au nouveau terminal 3 d’Heathrow pour incarner l’expérience propre à la marque. Ce fut l’occasion pour la compagnie de redefinir l’expérience de service qu’ils souhaitaient offrir à leurs voyageurs avant et après le vol et s’assurer qu’elle serait aussi agréable que celle offerte pendant le vol.
C’est l’agence de design britannique ENGINE qui les a accompagné, le brief étant que l’expérience devait nous seulement fidéliser les voyageurs mais qu’elle devait prendre en compte les contraintes liées à la configuration du nouveau terminal.
Après une phase de plongée dans l’étude des comportements des voyageurs, leurs besoins et leurs motivations à l’aide de méthodologies aussi variées que le shadowing de l’expérience dans l’aéroport, les interviews face-à-face, ou les interviews en profondeur, les insights recueillis ont été visualisés sur une cartographie des parcours clients, mettant ainsi en évidence les opportunités et les points d’amélioration possibles.
Les designers ont ensuite travaillé avec les équipes de Virgin Atlantic, les opérateurs de l’aéroport de Heathrow et les architectes pour compléter la cartographie avec l’ensemble des process soutenant les parcours clients. La cartographie a aussi été un moyen utile de communiquer et de partager sur les constats à l’interne.
L’agence a ensuite utilisé les insights pour faire le lien avec les valeurs de la marque et les a traduits en dimensions de l’expérience à l’intérieur d’une plateforme de l’expérience client. Il s’agissait à ce stade de s’assurer que les besoins des clients étaient potentiellement adressés et que ces dimensions étaient réalisables et profitables pour la Virgin Atlantic. Puis des concepts ont été générés par les équipes de Engine et de VAA pour la 1ère classe et la classe Economique. Au final, l’expérience en 1ère classe a consisté en l‘amélioration de la fluidité au moment du contrôle par la création d’un poste inspection filtrage dédié à VAA. Et pour la classe économique c’est l’accompagnement des équipes au sol pour guider les passagers et les former à l’utilisation des bornes de self check in qui a caractérisé la nouvelle expérience.
Résultat : une réduction de 75% des temps d’attente au check-in et une augmentation du CXi (Customer Experience Index) de 30%. Le taux de satisfaction (excellent +bon) est de 97% pour les passagers de 1ère et de 89% pour les autres. Bravo Virgin Atlantic !
Cet article est paru dans le numéro de septembre de la revue Espaces – Tourisme et Loisir.
Pour le lire en VO, c’est ici.
Bonne lecture
Laurence