La centricité client … sinon rien
A l’heure où des départements ou Directions expérience client se mettent enfin en place (MAIF, Engie, Renault…..), c’est le moment de se demander « sommes nous centrés client ? « ou « quel est notre niveau de centricité client ? ».
Si la question doit être posée de manière aussi claire, c’est que pour beaucoup, le lien entre expérience client et centricité client est loin d’être évident. Pire, de nombreuses démarches expérience client échouent à cause de cela, parce que le client -et le collaborateur- ne sont pas suffisamment au cœur des décisions prises par les entreprises. Pourquoi ? La centricité client est un objectif stratégique difficile à atteindre parce que difficile à mettre en œuvre. Il impose un changement d’état d’esprit, des manières de faire profondément transformatives qui challengent la complexité d’organisations très hiérarchisées et cloisonnées.
Pourquoi est-ce si difficile d’être centré client ?
Plusieurs raisons pour expliquer ces résultats en demi teinte :
–l’orientation client (différent de la centricité client) reste l’alibi des entreprises centrées produit : portée par le marketing et les études, elle inspire des pratiques qui restent à la surface des choses. « Décrire, connaître et mesurer » n’est pas « explorer et comprendre ».
–l’approche lean ne permet pas l’adoption d’une posture centrée client, elle accentue au contraire l’orientation processus en se concentrant sur l’amélioration sans s’intéresser aux problèmes rencontrés par les clients et les collaborateurs
–les parcours client, s’ils sont conçus de manière collaborative, sont souvent élaborés en chambre à partir de la connaissance qu’ont les participants des clients, souvent supposée et théorique.
–les pilotes en mode sprint sont très utiles pour faire la preuve qu’une approche plus humaine est possible, mais ils se heurtent aux freins organisationnels dès lors qu’il faut passer à l’échelle.
Alors, quelle est la solution ?
Une 4ème voie, très nouvelle est en cours d’expérimentation : l’approche design offre une alternative convaincante pour concevoir, prototyper, tester et déployer sans perdre le client de vue.
Retour sur les enjeux des organisations en prise avec des sujets de change.
1. La révolution digitale qui promettait de transformer les modèles d’affaire en offrant davantage de rapidité, d’efficacité grâce aux outils technologiques n’a pas tenu parole. La raison en est très simple : les organisations sont composées de technologie ET d’humains, or ces derniers ne sont pas suffisamment pris en considération dans la conception des services et leur mise en œuvre. Il est de plus en plus admis que pour être efficaces et pertinentes, les organisations doivent prendre en compte le point de vue du client et du collaborateur.
2. L’orientation client n’est pas un fait nouveau : c’est même le rôle du marketing de mieux connaître les clients, c’est dire si ça ne date pas d’hier. Alors, pourquoi cette réticence à passer le cap de la centricité client ? Pourquoi existe-t-il encore des services qui nous rendent fous et des organisations qui aliènent et frustrent leurs employés ? Baties à l’ère industrielle, les grandes entreprises de service ont une logique dominée par le produit (product dominant logic) . Elles sont dopées à la performance, aux économies d’échelle et à la diminution des coûts fixes et à la conviction que la technologie est le moteur de l’innovation. Inversement, la logique client (client dominant logic) est guidée par l’expérience vécue par le client et la conviction qu’une compréhension intime des clients est un puissant levier d’innovation. L’itération est au cœur de cette logique qui n’offre pas seulement un modèle alternatif de compétitivité : elle offre un autre ensemble de valeurs et de croyances qui remettent en question l’essence même du modèle dominant et porte en elles les germes d’un changement culturel.
Comparaison centricité produit/centricité client :
Centricité produit | Centricité client | |
Philosophie | Vendre des produits, on vend à qui veut bien acheter | Servir les clients, toutes les décisions commencent avec le client et les opportunités pour avantage |
modèle business | Modèle transactionnel | Modèle relationnel |
Positionnement produit | Met en avant les caractéristiques et avantages | Met en avant les bénéfices produits en lien avec les besoins des clients |
Structure organisationnelle | Centres de profit par produit, chefs de produit, equipes de ventes par produit | Managers de la relation client, équipes de ventes et centres d’appels spécialisés par segment client |
Focus organisationnel | Centrée sur l’interne, développement de nouveaux produits, de nouveaux comptes, croissance de la part de marché, les relations avec les clients sont une préoccupation pour le marketing | Centrée sur l’externe, développement des relations client, rentabilité par la fidélisation, les employés sont les ambassadeurs de la démarche client |
Critères managériaux | Portefeuille produit | Portefeuille client |
Approche de vente | A combien de clients pouvons nous vendre ce produits ? | Combien de produits chaque client achètera-t-il ? |
Comparaison d’une approche centrée sur le produit et d’une approche centrée sur le client (Shah et al., 2006, p.115)
Build, do, learn, adopt… iterate pour déployer et toucher une cible de plus en plus large.
Voici quelques pistes pour vous aider à être davantage centré client et collaborateur (inspirées par l’expérience des projets que nous avons conduits à X+M) :
1. Build : Installer la compétence design auprès des équipes, – et pas seulement celles qui sont en charge de la conception des offres – à l’aide d’un dispositif et d’une gouvernance qui permette la mise en oeuvre d’une approche écosystémique et la prise en compte des modes d’organisation, des processus et des méthodes de travail dans la conception. Un cadre de conception incluant des analyses de rentabilité de démarches centrées clients (cases for change), un modèle opérationnel pour fiabiliser la démarche, et un cadre de métriques centrées client sera aussi très utile.
2. Do : Prouver la valeur du design dans la pratique le plus tôt possible par la réalisation de projets. Surtout au début, il est important de choisir les bons projets pour faire la preuve de l’intérêt de la démarche. Assez petit pour courir vite, assez visible pour être remarqué, assez simple pour être sûr de réussir et de rassembler autour de soi les parties prenantes prêtes à contribuer et à participer.
3. Learn : Initier les collaborateurs à la pensée design et les former à ses principes et méthodes, mais à différents niveaux selon les publics : stratégique et centré sur l’impact de la centricité client sur l’organisation pour les dirigeants, opérationnel pour les collaborateurs qui doivent comprendre comment utiliser la conception dans leur contexte pour obtenir des résultats immédiats.
4. Adopt : installer les nouvelles façons de travailler dans l’entreprise à coté de celles qui existent déjà sans chercher à remplacer les anciennes. Il s’agit de laisser les collaborateurs expérimenter les nouvelles pratiques et décider celles qu’ils préfèrent.
5. Iterate : déployer en cercles concentriques et commencer par un petit groupe de personnes convaincues et convaincantes qui seront l’équipe cœur. Commencer par faire la preuve et elargir la portée du design projet après projet. Start small and learn. (vs run fast and fail)
Le déploiement du design dans une organisation bouscule le statu quo, au moment de prioriser les projets par exemple, ou de les aligner avec les objectifs et les buts de l’entreprise. Il permet l’introduction, la diffusion et l’adoption de la logique client à travers des artefacts et des histoires qui favorisent l’usage d’un langage commun compris par tous, une coordination et un alignement entre des perspectives différentes et opposées.
En 2020, une mauvaise expérience client détruira 30 % des projets numériques.
Devenir centré sur le client et le collaborateur est possible. Outre Atlantique et ailleurs en Europe, il existe de nombreuses grandes organisations complexes et cloisonnées qui ont réussi à atteindre cet objectif. Cependant, il faut savoir qu’il s’agit d’un marathon et non d’un sprint, et qu’il faut donc élaborer une stratégie en conséquence. Le passage à une logique client remet en question l’ensemble des valeurs et des croyances qui sous-tendent le comportement des gens. Elle remet également en question les processus, les systèmes et les méthodes de travail bien établis qui définissent l’essence même d’une organisation. Donnez-lui le temps et l’espace de respirer, et ayez un plan à l’échelle, parce que la valeur est maximisée par une adoption plus généralisée. Le design est un sport d’équipe – favorisez l’adoption par la participation, et non par la constitution d’une armée de designers. Soyez patient et constant dans votre approche, soyez audacieux au besoin et fier de toutes les petites réalisations que vous accomplirez en chemin.
LaurenceSources :
Shah, D., Rust, R., Parasuraman, A., Staelin, R., & Day, G. (2006) The Path to Customer Centricity. Journal of Service Research, 9 (2), 113-124
Junginger, S. (2015) Organisational design legacies and service design. The Design Journal 18 (2).
Goasduff, L. (2019) Is your organization customer centric? Gartner