L’expérience client au cœur du renouveau du retail

Fin 2013 sortait le nouvel opus  de Jean Claude Prinz consacré au design et à l’architecture de commerce auquel j’ai eu le privilège de participer. Voici un extrait de ma contribution intitulée : « La shopping expérience au coeur du renouveau du retail »

Le commerce de détail est en train de vivre une mutation comparable à celle qu’a connue la grande distribution dans les années 60. Sous l’influence conjuguée de l’évolution du e-commerce et du caractère souvent déceptif des expériences client,  les magasins physiques ne pèseront dans cinq ans plus que 63% des ventes, contre 91% aujourd’hui (source Deloitte). Aujourd’hui, le shopping n’est plus un acte d’achat utilitaire mais il répond à une recherche de sensations et d’émotion, à la volonté d’inscrire les courses – activité banale – dans un cadre valorisant,  à un désir de socialisation et de convivialité. Il devient une activité à part entière qui peut être divertissante, éducative, esthétique ou propice à l’évasion : on parle de « fun shopping », de « retailtainment »  ou de « shopping experience ». Une étude récente réalisée par le promoteur Cushman et Wakefield révèle que si la proximité et la diversité des produits sont le principal critère de choix d’un magasin, les autres critères -mentionnés par 30% des sondés- portent sur l’ambiance : propreté, luminosité, caractère spacieux… Dans un contexte de guerre concurrentielle accrue, il ne fait aucun doute que s’il veut créer du lien avec ses clients, le commerce de détail sera contraint d’intégrer dans sa réflexion une dimension expérientielle forte : on ne vient pas seulement pour faire ses courses mais pour vivre une expérience émotionnelle riche en sensations. Le consommateur en quête d’informations et de sensations, va rechercher de manière plus ou moins consciente les signaux sensoriels qui vont le renseigner sur la qualité et l’image du service bien avant de consommer celui-ci : la catégorisation – le traitement cognitif des différences perçues entre les objets – est stratégique en marketing car il  nous permet d’associer un logo,  une couleur, une forme à une marque. Il est au cœur du positionnement. Du fait de la nature intangible du service, de l’expérience, c’est son environnement physique qui va le plus nous informer sur le positionnement de l’enseigne : avec l’offre en magasin,  il est le principal support de sensorialité.  Ainsi la taille du lieu, la hauteur sous plafond, la décoration et le design intérieurs, les tenues du personnel en contact, leur apparence physique,  les odeurs, les couleurs, la lumière et tous les sons… sont autant de signaux qui permettent à la marque de se différencier – haut ou bas de gamme, spécialisée ou généraliste, standard ou unique. Dans un fast food, le niveau élevé de bruit ambiant, l’inconfort des sièges, les odeurs de frites, l’intensité lumineuse, les a plats de couleurs vives, l’impression de foule et de vitesse forment des signaux qui nous renseignent sur la nature de l’activité et nous disent qu’ici on mange rapidement pour une somme modique. Du fait de son caractère tangible, le lieu physique est l’endroit où les indices perceptifs sont les plus actionnables : comme la marque, il se construit comme une heuristique matérialisant l’appartenance à un segment défini en terme de prix, et d’attributs de service. Dans le contexte actuel de recherche d’émotions, il est très important de construire un environnement riche en terme de signaux sensoriels, sachant que nous sommes naturellement guidés par la recherche de la « bonne forme » matérialisée par la congruence des signaux.

Les sens, le plus court chemin vers les émotions. Suivant que l’environnement est plus ou moins plaisant et/ou stimulant, nous allons décider de rester dans le magasin ou de le quitter, de l’explorer ou de nous replier sur nous même et limiter les contacts, de  communiquer avec les autres ou de les ignorer, de rechercher ou d’éviter la performance et la satisfaction issue de l’accomplissement de tâches. La perception agit comme un filtre et contribue  à notre recherche de plaisir : un magasin doit avant tout être attirant – vs répulsif – sous peine de faire fuir ses clients. La stimulation vient en second : dans les environnements stimulants, on trouve beaucoup d’informations sensorielles et cognitives, de la complexité, du mouvement, des changements fréquents, des surprises… À l’inverse, un milieu peu stimulant présente les caractéristiques opposées : calme, lumières douces, ambiance apaisante… À partir de ces deux concepts de base – plaisir / stimulation – un environnement peut être perçu comme passionnant, excitant, agréable, relaxant, endormant, ennuyeux, déplaisant, stressant… et générer diverses réponses d’ordre émotionnel comme l’intérêt, la joie, l’euphorie, l’émerveillement, l’enchantement, la volupté, la surprise, l’anticipation, la sérénité, ou au contraire la douleur, l’ennui, la tristesse, la colère…  Le temps passé et les sommes dépensées par le consommateur dans de tels environnements sont fonction du niveau de plaisir ressenti et de son état émotionnel. 

Le marketing sensoriel des points de vente : le cas Apple. Si le marketing sensoriel des produits est depuis longtemps utilisé en innovation ou pour mesurer la perception des objets de notre environnement quotidien, le marketing sensoriel appliqué aux expériences de shopping  est beaucoup plus récent. Les promesses faites au client passent essentiellement par la  façon dont il perçoit l’environnement de service : insuffisamment maitrisés, les messages sensoriels peuvent véhiculer des informations qui vont à l’encontre du positionnement de marque. De toutes les expériences retail que je connais, celle que l’on vit dans un Apple Store est unique et  sans aucun doute mémorable. Saviez-vous que des chercheurs britanniques ont étudié par IRM le cerveau de fans d’Apple pendant qu’on leur présentait des produits de la marque et que les zones stimulées était les mêmes que lorsqu’on vit une expérience mystique ? De la à assimiler Apple à une religion avec Steve Job dans le rôle du prophète et les fans dans celui des fidèles il n’y a qu’un pas. D’ailleurs ne parle-t-on pas d’évangéliser quand il s’agit de communiquer ?Cette communauté de fans dispose aussi de ses temples, 350 Apple stores  dans le monde dont le plus grand vient d’ouvrir à Shanghai. Si la marque à la pomme a changé notre rapport aux machines,  elle a aussi changé la face du commerce de détail avec ses magasins minimalistes, ses espaces vitrés largement ouverts sur l’extérieur, ses tables de démonstration aux lignes épurées et ses escaliers transparents. Tout cela, Apple l’a appris de ses clients. Pour Jonathan Ive, VP designer « Les collaborateurs mettent toute leur énergie à concevoir une solution la plus simple possible car en tant qu’êtres humains, nous comprenons la clarté. » Cela vaut pour les produits comme pour l’environnement de service. Dans le nouvel Apple Store situé dans Grand Central à New York, il n’y a pas d’espace de vente ni de séparation entre la gare et le point de vente : le stock de produits est invisible et les seuls produits accessibles sont ceux mis à disposition des clients sur les larges tables d’érable alignées dans les vastes allées. Cet Apple store est de loin le plus surprenant de tous : à la fois musée des sciences et technologies et lieu d’exposition, il pourrait tout aussi bien exposer des œuvres d’art. Dans le monde d’Apple, tout ce qui gêne l’expérience utilisateur est éliminé, que ce soit au niveau du produit ou des magasins.  L’ADN de la marque, ce mélange de technologie dernier cri et de simplicité se retrouve intégralement dans les deux. Bien que très critiqués à leur lancement il y a 10 ans, les Apple stores réalisent un chiffre d’affaire annuel de 34millions $ et sont de tous les points de vente physiques ceux qui enregistrent la meilleure rentabilité au mètre carré, secteur du luxe inclus. Ce que Steve Jobs avait compris bien avant les neurosciences, c’est que « Le processus de mémorisation est plus facile quand on supprime les distractions. Ne surchargez pas le cerveau en le forçant à dépenser plus d’énergie »Dans un mois, Angela Arendt l’ex CEO de Burberry va prendre la tête du retail. Son mandat est clair : il s’agit d’enrichir l’expérience client on et offline et de renouveler le concept de l’Apple Store qui s’est érodé en 10 ans d’existence. Cette nomination est significative de l’importance que Tim Cook accorde à la nature du lien émotionnel qu’entretient la marque avec ses clients, lien que la nouvelle patronne du retail à su construire avec les clients quand elle était à  la tête de Burberry. Alors, pourquoi les Apple Store sont-ils si différents ? Car ils s’intéressent à ce que les autres enseignes négligent : la propreté, l’ordre, l’élégance, l’espace, la simplicité. Dans un Apple Store rien n’est désagréable, laid ou source d’irritations. Plus que des lieux de vente, ce sont des lieux de vie, de rencontres où les gens peuvent se retrouver, échanger, apprendre et vivre des expériences… mémorables.

Pour en savoir plus… bonne lecture !

Laurence

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