L’économie d’expérience, entre émotions et transformations
Après l’économie de service, puis celle des expériences, nous cheminons vers la dernière étape de la construction économique modélisée par Pine et Gilmore en 1998 : l’économie de la transformation.
Sensée réenchanter les services par l’ajout de valeur émotionnelle, l’expérience client en tant que pratique d’innovation et discipline stratégique pour guider le changement est en train de tourner court sous les effets conjugués de sa banalisation, de la digitalisation massive des parcours et de la pandémie. Entre le modèle tel qu’on l’imaginait et la réalité, il y a un gouffre : celui d’un concept vidé de sa substance et souvent raccroché aux wagons du marketing pour faire de l’ultra personnalisation et de l’amélioration continue l’alpha et l’oméga de la satisfaction.
Mais ça n’est pas parce qu’on est capable de mettre en oeuvre des CRM toujours plus performants, de collecter des milliers de données comportementales sur toujours plus de canaux, de traiter toujours plus de verbatims et de traduire cela en actions sur les parcours cibles que l’on comprend les clients pour autant, leurs motivations et leurs raisons d’agir ou de ne pas agir conformément à nos plans, … et a fortiori qu’on les satisfait.
L’expérience client est devenue une commodité parce qu’elle aurait dû être réservée aux champions de la centricité client et accompagner les chantiers de transformation au lieu de s’y substituer. : en renonçant aux attributs émotionnels des services pour leur préférer les attributs fonctionnels – la simplicité, la rapidité… on s’est imaginé qu’elle finirait par rendre les clients heureux… Mais la dépendance n’est pas l’amour : si Amazon nous a rendu accros à la livraison en 1 jour , Ubereats au resto à la maison, Gorillas aux courses instantanées…. on a stimulé la comparaison par le niveau de performance -facilement copiable donc sensible au prix- là ou on aurait du identifier en amont les attributs les plus sources d’attachement et donc de fidélisation et de prescription.
Le constat pour les marques est cruel : proposer une solution qui répond aux besoins du client – si cette solution repose sur les seuls attributs fonctionnels – ne suffit plus pour améliorer la satisfaction. Quand la dimension émotionnelle est absente de la proposition, que le client en tant que personne est ignoré, il se tourne vers des alternatives plus radicales et sources de transformation réelles pour lui, sa famille, sa ville, …. ou bien il choisit le prix le plus bas.
Avec la pandémie et les sujets autour de la décarbonation des activités de production et de service, de l’éthique dans les affaires…la question du sens se pose pour beaucoup d’entre nous :
-à quel point mon travail contribue-t-il à améliorer la société ?
-pourquoi mes achats me satisfont si peu ?
-pour qui est ce que je fais tout cela ? et pourquoi ?
-quels choix pour aligner mes actes sur mes valeurs ?
Le fragile équilibre de nos vies bâties sur des montagnes de compromis et d’arbitrages se fissure chaque jour un peu plus et l’urgence du changement nous pousse à une forme de radicalité propice aux transformations personnelles .
Pour répondre à cette évolution, l’expérience client doit se doter d’outils de conception qui permettent de comprendre les motivations et d’intégrer du sens dans la proposition de valeur. Le design d’expérience permet cela : en plus d’identifier les besoins non exprimés et les motivations sous jacentes, il permet de resituer l’usage dans un contexte, une situation lui fournissant un ancrage et une forme de légitimité et d’authenticité que n’ont pas les services.
Quelles expériences pour demain ?
A l’heure où certains secteurs de l’économie – dont les services- sont pointés du doigt pour leur impact négatif sur l’environnement ou les conditions de travail, les nouvelles expériences doivent moins être considérées comme des offres que comme les solutions à des problèmes dont nous faisons partie. Ecosystémiques, respectueuses des hommes et de leur environnement, elles sont transformatives par nature et porteuses d’impact grâce à leur ancrage dans la vie réelle. Ce changement de paradigme implique que nous ayons en tant que client/utilisateurs un rôle actif à jour non seulement dans la conception – ce que le design permet – mais aussi dans la délivrance et la pérennisation de nouveaux modèles plus résilients et plus sobres. Ainsi mobilisés et impliqués, nous serons davantage motivés à « être le changement que nous voulons voir dans le monde » : plus que des acteurs devenons des « activistes » pour agir pour le bien commun et remettre du sens dans nos vies.
En sortant définitivement l’expérience client du champ de la qualité de service et de la relation client, donnons lui l’occasion d’être enfin un sujet d’innovation et de montrer ses vraies couleurs : positives, joyeuses et profondément humaines, tout ce dont la transition a besoin.
Cet article inaugure une série sur l’impact de l’économie d’expérience sur un secteur qui devra se transformer radicalement : celui du tourisme.
1. L’économie d ‘expérience la nouvelle frontière du tourisme
2. Plus d’expériences et de sens, moins de prix : les nouveaux besoins des voyageurs
3. Expériences et ecosystèmes de valeurs : le rôle des communautés pour redéfinir les destinations
4. L’expérience voyageur pour aller au delà des labels et des systèmes de qualité
5. L’expérience collaborateur, l’autre secret pour engager et fidéliser ses équipes
6. Scénariser et chorégraphier des expériences durables, désirables et mémorables
7. Les outils du design d’expérience touristique : blueprints, storyboards, playbooks, living labs, ecosystèmes d’acteurs…
9. Tour d’horizon des meilleures expériences et territoires expérientiels
Vous souhaitez organiser une conférence sur cette thématique, contactez moi, nous concevrons ensemble celle qui vous convient le mieux 😉 laurence@xplusm.fr