Les outils du design d’expériences touristiques : blueprint, storytelling, ecosystèmes d’acteurs, … 7/8
Cette série s’achève en même temps que les bilans de la saison 2022 sont publiés : 2 mois, une canicule, et de nombreuses situations de surchauffe plus tard, alors que certains sont tentés par un « retour à la normale, » je pense au contraire que nous tenons l’occasion de réinventer le tourisme dans notre pays pour le rendre plus responsable, plus désirable et surtout mieux adapté pour anticiper les prochains bouleversements climatiques et rendre les destinations plus resilientes.
Pour répondre à ces nouvelles urgences, le modèle expérientiel nativement centré sur l’humain et ses besoins, évolue lui aussi et prend en compte les nouvelles exigences des visiteurs, leur aspiration à être plus vertueux dans leurs déplacements, respectueux des populations et des ecosystèmes locaux, à remettre du sens dans leur consommation de loisirs EN PLUS de vivre des expériences mémorables et de payer pour des services irréprochables…
Il se distingue des approches RSE dans la mesure où il intègre les critères environnementaux et sociaux à ceux déjà existants sans s’y substituer : ça n’est parce que l’urgence climatique nous impose de changer nos comportements que nous devons renoncer à nos autres attentes émotionnelles ET fonctionnelles. Centré sur l’humain, écosystémique, éthique et durable, le modèle expérientiel offre plus que jamais une grille de lecture ET un cadre de conception qui le distingue des approches uniquement centrées sur l’offre.
Le moment est venu de repenser les buts, les business modèles et les chaines de valeurs de l’industrie du tourisme, de les rendre plus holistiques et transversales, de les rapprocher des besoins des parties prenantes, de prendre en compte les contraintes comme les tensions sur l’energie, sur l’eau, le recyclage des déchets, les transports, les logements…, bref, d’adopter une approche de résolution de problèmes pour trouver des solutions efficaces localement et pour des situations particulières . Le temps du « one size fits all « est définitivement révolu, le design nous invite à « dé-massifier » les réponses pour sortir d’une gestion industrielle et recréer du lien entre les acteurs.
« Comment conciler la qualité de vie quotidienne des habitants avec les besoins et aspirations des touristes ? »
« Comment enchanter les visiteurs tout en prenant en compte les limitations d’usage ? »
« Comment accueillir les visiteurs avec envie et authenticité ?
« Comment mieux ancrer les stratégies de destination dans le vécu des parties prenantes ?
« Comment mobiliser les collaborateurs et les fidéliser ?
« Comment sensibiliser et engager ceux qui guident l’action sur le terrain, les OGD ? «
Les compétences, les ressources (y compris les ressources humaines) et les actifs (lourds et légers) existants doivent être utilisés et connectés de manière nouvelle, pour apporter des solutions rapides et fonctionnelles sur le terrain : utiliser les équipements municipaux pour briefer les nouveaux arrivants (saisonniers et touristes) et les sensibiliser aux règles locales, relayer les problèmes des socios pros auprès des habitants pour fixer des situations critiques et éviter les crispations éventuelles…
Le tourisme est particulièrement éligible aux méthodes et outils du design car il est composé d’une multitude d’acteurs indépendants qui agissent le plus souvent en silos : cette complexité couplée au fameux « mille feuille territorial » est la plus grande source de résistance au changement et un vrai facteur d’inaction. Les professionnels gagneraient en efficacité s’ils travaillaient de manière transversale avec une vision holistique des situations.
Pour agir de manière concrète, rapide et efficace, voici quelques outils qui permettent de concevoir des expériences et de répondre à des problématiques tout en adressant les besoins et les attentes des visiteurs cibles. Ces outils sont issus de l’ouvrage que j’ai co écrit avec Sylvie Daumal en 2019, l’Expérience client en pratique. Les exemples qui les illustrent se trouvent dans le livre et s’appliquent au secteur du tourisme, vous y trouverez aussi les visuels qui illustrent les exemples. Les clients de X+M dans le secteur du tourisme qui les ont utilisés avec succès : la Cie des Alpes, Val Thorens, Les Ménuires, Finistère 360, Oceanopolis, Cognac…
Value chain Canvas
Pour adopter une stratégie à la fois régénératrice et vertueuse, il est important de comprendre le contexte, y compris les tensions qui y sont liées, les opportunités du marché et les besoins essentiels des visiteurs et des écosystèmes. Le canevas de la chaine de valeur permet de synthétiser et hiérarchiser les défis commerciaux futurs du double point de vue macro et d’une perspective régénératrice. Grâce à cet outil, on peut rassembler des informations clés sur un marché d’un point de vue ressource, utilisateur final, acteur industriel, technologie, politique et juridique, sur l’ensemble de la chaîne de valeur et de faire un diagnostic. (source Circulab Academy)
Cartographie de l’écosystème
La cartographie de l’écosystème a pour objectif d’inventorier tous les acteurs d’un système et les interactions qui les lient (transactions, échanges ou flux physiques ou d’information) en les représentant graphiquement dans un schéma. Elle se fonde sur les données issues de la recherche terrain et de la connaissance qu’en ont les acteurs. La cartographie visualise l’écosystème dans lequel le commanditaire opère (par exemple le tourisme local pour un hôtel…) pour détailler les différents acteurs qui existent et les relations entre eux. Elle cherche à en retranscrire toute la complexité. À partir de cet inventaire,il est possible de mettre en lumière les aspects les plus importants pour la problématique, de tenir compte de certains critères (pertinence, facteurs de risque, points de souffrance) et d’évaluer les efforts à fournir pour aboutir à la création de l’expérience envisagée ou à la résolution d’un problème.
Persona
Les personas sont des archétypes qui synthétisent des informations issues de la recherche terrain. Présentés sous forme de portraits de visiteurs, ils en détaillent les motivations, les comportements (la façon dont ils enchaînent les différentes opérations), les freins à l’adoption et les leviers d’action. Les personas ont été créés pour favoriser le travail d’empathie. Plutôt que de parler du client en général, les designers parlent de Charles, de Manon ou d’Odile… En se référant à de vraies personnes, ils se mettent en capacité de designer en gardant toujours en tête les besoins, les attentes et le contexte des personnes. Les personas servent de base au design (à chaque persona correspond des parcours et des particularités différentes de l’offre), mais aussi, par conséquent, aux scénarios d’expérience.
Un persona rassemble l’ensemble des caractéristiques d’un groupe. Ces caractéristiques correspondent aux comportements réels observés, et non à des critères définis a priori, comme l’âge, le genre, la classe socioprofessionnelle ou le lieu de résidence. C’est pourquoi les designers cherchent à identifier les différents schémas de comportement (les patterns) pendant la phase d’analyse. Ces schémas dépassent généralement les limites des critères marketing, l’âge ou le genre n’influant pas nécessairement sur la façon dont les personnes agissent. C’est le nombre de façons de faire qui définit le nombre de personas.
Cartographie du parcours visiteur actuel
De tous les outils de l’expérience visiteur, la cartographie du parcours actuel est probablement celui qui permet le mieux de synthétiser ce que le visiteur vit à l’occasion de ses interactions avec les acteurs de l’écosystème (le territoire) ou de l’organisation (l’hotel ou le musée). Quand la phase de recherche est terminée, le travail de définition du problème commence. À ce stade, la question de la clarté se pose : comment rendre lisible la masse d’informations souvent complexes issues du terrain et la représenter dans un format qui parle à tous ? De la même manière que les observateurs se sont mis dans les chaussures du client pour collecter des informations avec leur sensibilité et leur subjectivité, ils vont synthétiser ces dernières depuis son point de vue, mais collectivement : ce que le visiteur a vu (les photos prises pendant les observations), ce qu’il a entendu, ce qu’il a dit, ce qu’il a fait et ce qu’il a ressenti. Et cela pour l’ensemble des étapes de son parcours. Représenter visuellement un parcours actuel permet de mettre en évidence les moments de vérité, c’est-à-dire les étapes à fort enjeu où le client insatisfait peut décider de s’exprimer sur les réseaux sociaux, ainsi que les boucles itératives liées à des process non maîtrisés ou une offre de médiocre qualité (comme la réclamation) ou inexistants (comme l’absence de service).
Une variante du parcours consiste à faire figurer en miroir ce que fait et ressent le collaborateur au contact pendant les mêmes étapes que le client. Cela permettrait de mettre en regard les processus appliqués par les collaborateurs et les comportements des clients qui vivent l’expérience. Cet exercice ferait ressortir de manière criante la satisfaction du collaborateur qui a bien appliqué le processus (parfois même avec le sourire) et la frustration du client pour qui le processus ne répond pas à son besoin.
Du fait de leur plasticité, les méthodes et outils du design permettent de zoomer et de dézoomer à volonté suivant la granularité recherchée : le fait de zoomer sur une étape et de la décomposer en sous-étapes permet d’atteindre un niveau de détail qui peut receler d’intéressantes opportunités.
Bootcamp d’expérience visiteur
Un bootcamp -ou camp d’entraînement- , est un format de travail intensif en groupe. Il se déroule sur plusieurs heures, voire plusieurs jours, et met l’accent sur la pratique et les résultats concrets. Son format s’apparente à un design sprint, popularisé par Google. Concrètement il réunit les collaborateurs – et/ou les parties prenantes d’un écosystème- pour leur faire imaginer et tester des façons d’améliorer l’expérience visiteur comme celle du collaborateur. Souvent organisé sur deux ou trois jours (mais le format peut être plus court ou plus long), le bootcamp fait se succéder différents exercices qui favorisent l’apprentissage des méthodes de design, la collaboration et la résolution de problèmes en équipes pluridisciplinaires. Après une présentation de l’état des lieux, issu de la recherche, les exercices se déroulent en temps limité et obligent à faire, c’est-à-dire à produire, un résultat concret pour la présentation finale en assemblée.
Le bootcamp crée des liens entre des salariés /parties prenantes qui travaillent dans des services/silos différents et favorise la collaboration en créant un esprit d’équipe. Il transmet aussi des méthodes pour que tous les collaborateurs soient en capacité, au retour dans leur poste, d’améliorer au quotidien l’expérience visiteur/client et l’expérience collaborateur. C’est un outil puissant pour transformer l’entreprise /la destination de l’intérieur, en misant sur les participants et leur capacité à imaginer et à résoudre par eux-mêmes les problèmes.
Storytelling
La narration (storytelling) est un moyen d’imaginer et d’explorer concrètement les concepts. Avec des termes simples, le designer imagine le service comme une histoire. La narration est utilisée non comme un outil pour communiquer le résultat du design, mais pour sa puissance créative pendant la phase de génération d’idées. Le schéma narratif oblige à créer un rythme et des surprises dans l’expérience. Celles-ci sont la traduction dans le design d’expérience des obstacles identifiés dans le déroulé classique des récits -Inchauste-, appelé l’arc dramatique. Cela permet aussi de se concentrer sur les moments les plus importants et d’imaginer les séquences et leur durée en tenant compte des moteurs de l’action. Il s’agit d’imaginer l’histoire avec le début, la fin et toutes les différentes étapes jusqu’au climax (le pic de l’expérience) en s’assurant que celui-ci correspond aux besoins du client. L’exercice demande de tenir compte des états émotionnels et d’envisager la façon d’y répondre. Le storyboard est le canevas utilisé pour représenter visuellement cette histoire.
Blueprint d’expérience
Un blueprint représente graphiquement une expérience. En suivant le plus souvent l’ordre chronologique, il détaille le déroulé des opérations en plaçant d’un côté l’expérience du client, son parcours, et, de l’autre, en dessous d’une ligne de visibilité, l’organisation sous-jacente qui permet de produire l’expérience. Le blueprint permet d’aligner l’expérience du client et l’organisation. Il met en lumière la nécessité de travailler sur l’expérience des collaborateurs pour parvenir à créer l’expérience désirée pour le client. Sans une bonne expérience collaborateur, il ne peut y avoir de bonne expérience client. Il révèle aussi les processus et les nécessaires flux physiques et d’informations entre des acteurs parfois distants ou travaillant dans des équipes séparées. Il arrive que l’on complète aussi le schéma des preuves de l’expérience.
Le blueprint détaille chaque opération. Cet outil peut être utilisé à la fois pour décrire un service existant ou pour définir, mettre en place et maintenir un nouveau service. Au-delà de la description des opérations, il peut comporter des informations concernant la dimension émotionnelle de l’expérience, comme une courbe de stress ou une ligne d’échec. Le schéma se structure autour d’une ligne d’interaction, qui présente les points de contact et les interactions entre le client et l’interface, puis d’une ligne de visibilité, qui décrit ce qui se passe en coulisses.
Il existe beaucoup d’autres outils pour concevoir des expériences dans le secteur du tourisme. Leur prise en main est simple et passe par l’exemple : on trouve un sujet, une problématique et la recherche de solutions permet d’utiliser les canevas de manière collaborative et appliquée au travers d’exercices guidés par un facilitateur. Les canevas une fois remplis forment un playbook qui servira de support pédagogique pour diffuser les méthodes et outils au sein de l’organisation/ecosystème.
Voilà; cette série sur le tourisme expérientiel nous a accompagné tout l’été et a aussi permis de vivre en direct les évolutions du secteur, en France, mais pas seulement. La tendance pour une plus grande prise en compte de l’humain -et du vivant- dans les offres et la gouvernance des organisations et des territoires se confirme, elle doit devenir une boussole pour guider les décisions et donner du sens à l’action, qu’elle soit privée ou institutionnelle.
Cet article est le 7ème de la série consacrée à l’expérientiel dans le tourisme. Le dernier article sera consacré aux meilleurs exemples d’offres et de territoires ayant mis en oeuvre avec succès ces principes et actions,
1. L’expérientiel, la nouvelle frontière du tourisme https://blog.experience-client.com/lexperientiel-la-nouvelle-frontiere-du-tourisme/
2. Plus d’expériences et de sens, moins de prix : les nouveaux besoins des voyageurs https://blog.experience-client.com/plus-dexperiences-et-de-sens-moins-de-prix-les-nouveaux-besoins-des-voyageurs-2-8/
3. Expériences et ecosystèmes de valeurs : le rôle des communautés pour redéfinir les destinations https://blog.experience-client.com/experiences-et-ecosystemes-de-valeurs-le-role-des-communautes-pour-redefinir-les-destinations-3-8/
4. L’expérience voyageur pour aller au delà des labels et des systèmes de qualité https://blog.experience-client.com/lexperience-visiteur-pour-aller-au-dela-des-normes-et-des-systemes-de-qualite-4-8/
5. L’expérience collaborateur, l’autre secret pour engager et fidéliser ses équipes en collaboration avec Brice Duthion https://blog.experience-client.com/lexperience-collaborateur-lautre-secret-pour-engager-et-fideliser-ses-equipes-brice-duthion-5-8/
6. Scénariser et chorégraphier des expériences durables, désirables et mémorables https://blog.experience-client.com/scenariser-et-choregraphier-des-experiences-durables-desirables-et-memorables-6-8/
7. Les outils du design d’expérience touristique : blueprints, storyboards, playbooks, living labs, ecosystèmes d’acteurs…
8. Tour du monde des meilleures expériences et territoires expérientiels
Le tourisme aussi fait sa rentrée : stay tuned !
Val Thorens, les Ménuires, le Finistère, la Normandie, l’Ile de la Réunion, l’appellation Cognac….chez X+M, nous avons accompagné des destinations de premier plan dans la création de plateformes, le design d’expériences visiteurs qui font la différence, l’animation d’ateliers de formation et de sensibilisation au design d’expérience. Vous voulez la liste des projets que nous avons conduits ? Contactez moi
Vous souhaitez former vos équipes à la conception d’expériences touristiques, organiser une conférence sur cette thématique, contactez moi aussi, nous concevrons ensemble le projet qui vous convient le mieux
laurence@xplusm.fr